Le Poète National, le trait d’union et Carl Norac

Le Média de la Foire du Livre a invité Carl Norac, Poète National et auteur. À travers cette mission, il a été demandé à Carl Norac de répondre à la question suivante : Le Poète National doit-il être un trait d’union ? Et si oui, pourquoi et comment ? 

J’aime bien cette expression dans votre question : trait d’union. Une union, mais juste un trait, qui relie sans englober. Il y a trente ans, lorsque j’étais tout jeune animateur culturel, je voulais déjà organiser des soirées pour réunir écrivains francophones et néerlandophones. Chaque fois, on me disait, et c’était vrai : « Tu auras plus facile d’organiser un hommage aux poètes du Chili ou de Corée qu’à ceux de Flandre ». Fin des années 90, un basculement s’opère, notamment avec les tournées Saint-Amour de Behoud de Begeerte dont l’une fut nationale. Même à ce moment, un livre de poèmes néerlandais traduits en français ou l’inverse était encore un OVNI. En 98, Hugo Claus m’aide à publier ma poésie en Flandre ( Handen in het vuur, Poëziecentrum ), a la gentillesse de vérifier personnellement les traductions et faire taire quelques râleurs. Aujourd’hui, nous ouvrons un autre paysage. La formidable action réitérée de Flirt Flamand au salon du Livre (Festival du Livre, NDLR) en est un signe puissant.

Des éditeurs comme Tétras Lyre, l’Arbre de Diane, Poëziecentrum, Uitgeverijj P ou Maelström nous ouvrent le chemin de l’autre. Le projet Poète National amplifie et soutient ce phénomène nouveau.

Je n’y suis que pour un temps, mais depuis huit ans, les partenaires, qu’il soient de Gand, Namur, Anvers, Amay ou Bruxelles sont autour de la table fréquemment, sans barrières et surtout sans ego.

Deux ans durant, j’ai une liberté d’actions en la matière et un des deux buts de Poète National, avec la revendication d’une parole de poète sur l’actualité dans la presse ( comme au temps de la Beat generation ) est précisément à créer des ponts où des murs sont établis entre nos trois communautés ( je n’oublie pas les germanophones ), murs prétendument invisibles, mais si prégnants et que d’aucuns rêvent en forteresses. Lorsque l’on me demanda d’être Poète national, cette recherche de poser des traits d’union me semblait naturelle car c’est un combat que je mène humblement à titre personnel depuis longtemps. Ainsi, j’ai publié quinze livres pour la jeunesse avec des illustrateurs flamands, essentiellement Carll Cneut, Ingrid Godon, Gerda Dendooven.

Un jour, quand la Bibliothèque Nationale à Paris décida de choisir, pour une opération, un seul album par pays européen, ils me firent l’honneur  d’élire « Un secret pour grandir ». J’en étais heureux, mais mon livre était bien pratique. Il parlait du Maroc, mais écrit par un montois, illustré par un gantois, il était un rarissime et providentiel livre « belge ».

Ayant vécu en France de 1999 à 2019, j’ai souvent dit que, loin des querelles parfois absurdes et des enjeux de pouvoir, je pense que l’on devient davantage belge quand on s’absente. Pour ce qui est de Poète National, les trois poétesses et poète ont tracé la voie merveilleusement.

Je vais vous dire brièvement le « comment » de votre question pour ce qui est de mon mandat personnel. D’abord, il y eut Fleurs de funérailles/Gedichten Krans où 90 poètes des trois langues s’unirent pour écrire des poèmes pour les enterrements solitaires du coronavirus. Des poèmes, en 7 langues, ont voyagé, furent utilisés dans nombre de pays d’Europe, depuis la Belgique.  Le Soir parla d’un moment historique de voir ainsi se réunir des poètes de toutes les villes et provinces du pays, dont beaucoup se sont découverts entre eux. Une autre action menée avec la Maison de la Poésie de Namur « Dansez le poème » a culminé avec des vidéos de poètes flamands et francophones. Un autre « comment » essentiel à mes yeux est ce projet qui dure dix mois et que nous avons appelé « Festival de la lenteur ». En ce moment, comme je l’ai fait en mars dernier avec Astrid Haerens, Jean d’Amérique et Amina Belorf passent cinq jours seuls dans une maison de résidence à Watou pour se parler, se promener, se faire à manger ensemble. Idée humble et forte qui se fera jusqu’en octobre avec de nombreux duos, grâce à Vonk en Zonen et la Maison de la Poésie de Namur. C’est la première fois qu’un cadre est fixé pour se connaître au-delà de la fugacité d’une lecture. Deux points culminants interviendront : un festival de restitution à Bruxelles en janvier et, en septembre, un voyage de quinze jours en péniche où se succéderont poétesses, poètes des trois langues, traducteurs. Pas de frontières, canaux et fleuves suivent leur cours, et se connaître est ici toucher comme j’aime le dire à la volupté de la lenteur. Qui n’empêche aucune action pour cette urgence poétique partagée par toutes et tous. Je ne peux citer ici, dans la longueur demandée, tous les sentiers tracés. Je veux parler aussi d’Ostende-Eupen que je réaliserai à l’automne dans le cadre d’Europalia. Pendant deux mois, plusieurs fois par semaine, je vais prendre cette ligne de train, qui traverse les quatre régions et les trois langues, et écrire un livre à bord, en complicité avec les voyageurs et les paysages. Ma passion est d’écrire sur les gens que je croise, en se parlant ou pas. Tentative de photographier avec le langage. Défi de dire l’autre, derrière tous les miroirs. Un symbole encore du trait d’union de votre question. Un trait d’union, pas celui qui nécessite un laissez-passer, mais plutôt à l’arrière-scène comme au-devant, dépasser on-dit ou pis-aller pour la parole qui s’ouvre enfin.

Carl Norac, 

Poète National

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