Léonie Bischoff inaugure le retour à la vie de Bruxelles

Bruxelles ce week-end, la rue du Charbon est le théâtre d’un moment suspendu. Devant le Cabaret Mademoiselle, Léonie Bischoff dessina une heure durant, accompagnée par le timbre envoutant de Daphné Huynh et les gestes de Colette Collerette. Une performance audacieuse et délicate à la fois.

En ce dimanche 9 mai, les terrasses du centre bruxellois bruissent. Parmi les clients heureux de retrouver leurs cafés préférés, une voix s’élève, arrête les heures ou plutôt inverse leur cours : nous voilà au milieu du 20ème siècle, ici Anaïs Nin. C’est faux bien sûr, mais la femme à la fenêtre du premier étage du Cabaret Mademoiselle lui ressemble étrangement. Daphné Huynh a les mêmes grands yeux noirs, la même bouche au sourire lointain. Elle déclame la prose de l’écrivaine franco cubaine dans ses Carnets secrets (1932-1934) « la perfection est statique, et je suis en pleine évolution ».

Juste en dessous d’elle, Léonie Bischoff, l’autrice et dessinatrice d’Anaïs Nin, sur la mer des mensonges, qui a reçu cette année le Fauve Prix du public du Festival d’Angoulême. L’artiste suisse qui a élu domicile à Saint-Gilles devait initialement dessiner à l’intérieur du cabaret mais la contrainte Covid-19 a fini par devenir un moteur de création.

À partir d’une vitre recouverte de blanc de Meudon, les feutres de l’artiste créent un monde en enlevant la matière. Des fleurs, une lune et une longue chevelure ondulée, éléments que l’on retrouve tout au long de son ouvrage. La dessinatrice virevolte, bercée par la brise, ne s’arrêtant que pour reculer d’un pas et analyser son travail.

Au fur et à mesure que la vitre se dévêtit de sa craie, apparaît en transparence une femme qui s’habille. L’effeuilleuse burlesque Colette Collerette fait l’inverse de son habitude. D’abord la robe, et puis le long collier de perles, à enrouler plusieurs fois autour du cou selon la mode de l’époque. Des gestes quotidiens, d’une simplicité banale, que Colette Collerette sublime pour illustrer avec une sensibilité merveilleuse les mots jamais dits d’Anaïs Nin à Hugo, son mari qu’elle trompe avec Henry Miller mais qu’elle aime toujours. Elle ne croit juste plus « en la fidélité du corps ».

Street poésie

Après une courte pause, le trio réapparaît, place aux nouvelles érotiques. Colette Collerette, la danseuse burlesque, a gagné des plumes pendant l’interlude et les manie avec grâce. Cette fois, c’est sur une vitre nue que Léonie Bischoff peint en blanc. Seuls ses cheveux pastels colorent le tableau, à la composition encore plus aérienne que le premier. Un cadre fleuri entoure deux visages qui se regardent d’un air entre désir et autorité.

Les badauds passent. Certains haussent un sourcil, d’autres tendent l’oreille, beaucoup s’arrêtent pour admirer l’oeuvre onirique. Sur le trottoir, une trentaine de personnes se sont laissées séduire, dont un chauffeur Uber Eats qui en a oublié sa course. Un enfant s’immobilise devant les vitres, ravi de voir les plumeaux danser. Un peu rougissante, sa mère tente de le faire avancer, surtout que les nouvelles ont fait grimper de quelques degrés supplémentaires une atmosphère déjà moite.

Après la dernière phrase, le dernier coup de pinceau, les trois artistes se rejoignent et affichent des sourires radieux sous les applaudissements. La preuve que l’évolution peut frôler la perfection.

À l’instar de l’oeuvre de Léonie Bischoff, cette performance était un troublant hommage à Anaïs Nin, la femme qui n’a pas voulu subir le sort de celles de son époque, sans renoncer à la sensualité pour autant. Ni oui Nin non.

Texte et photos : Milena de Bellefroid

Vidéo : Élisa Cabrespines

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