Rimbaud par Tesson, les semelles de vent

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Dans la collection « Un été avec », l’écrivain français Sylvain Tesson part sur les traces du poète Arthur Rimbaud. L’homme, la prose, le voyant, le fugueur.

Une évidence : Un été avec Rimbaud s’adresse à tout qui souhaite se plonger dans la vie et l’œuvre du poète maudit. Un avertissement : il est indispensable d’être familier des saillies de l’auteur, Sylvain Tesson, qui ne peut s’empêcher d’user d’anachronismes afin de brocarder, dans un essai racontant un poète du XIXe siècle, la technologie et le monde contemporain quand il tourne fou. Un exemple ? « Il n’a pas de GoPro, il a un propos. Il n’a pas de drone, il a un regard. Il n’a pas d’appareil, il a le verbe. »

Une fois ces mises en garde énoncées, les amateurs se glisseront dans les pas de l’écrivain voyageur qui, l’été 2020, offrait aux auditeurs de la matinale de France Inter quarante émissions de 4 minutes comme autant de séquences consacrées au poète français né à Charleville-Mézières.

Un peu moins d’un an plus tard, ces émissions se métamorphosent en un livre publié par les Éditions Équateurs qui accueillent depuis 2013 la collection « Un été avec ». Cette année-là, Montaigne par Antoine Compagnon. En 2018, Homère, du même Tesson, best-seller écoulé à près de 200 000 exemplaires. Dans l’intervalle Proust, Baudelaire, Hugo, Machiavel, Paul Valéry, Pascal.

Regard original

On a déjà tant écrit sur Rimbaud ! Pourtant, à l’instar de Jean Rouaud, Sylvain Tesson parvient encore à porter un regard original sur cette figure majeure de la littérature française. Un été avec Rimbaud est un livre de 215 pages que Sylvain Tesson a scindé en trois parties aux jolis intitulés : « Le chant de l’aurore », « Le chant du verbe », « Le chant des pistes » ; elles-mêmes composées de courts chapitres, 37 au total. De quoi se familiariser en douceur avec l’auteur et ses œuvres, Une saison en enfer et Les Illuminations.

L’ »aurore », pour faire revivre les tout débuts de l’adolescent surdoué, où Sylvain Tesson aborde le milieu familial dans lequel Arthur a grandi. Géographe de formation, voyageur devant l’Éternel, il a voulu éprouver, aussi, la Meuse et ses brumes en hiver. Début 2021, comme il le raconte en avant-propos, il est parti avec son ami Olivier Frébourg, journaliste et écrivain, répéter à pied la fugue de Rimbaud d’octobre 1870. De quoi donner du relief au chapitre.

Le « verbe », ensuite, où Sylvain Tesson s’attarde sur cette antienne rimbaldienne : étant donné que l’usage conventionnel de la langue ne suffit plus à dire le monde, le poète veut transformer ce dernier par les mots. « Arthur porte jusqu’au point de fusion l’incandescence des mots, la liberté du rythme, l’association des images ». Cela dure quatre petites années – entre sa 15e et sa 19e année. Puis il prend la route et l’on n’entend plus parler de lui. Quasi plus. Le voilà négociant en import-export à Aden. Que s’est-il passé ? Tesson, comme d’autres avant lui, questionne, donne son point de vue, mais, parfois, n’a pas de réponse. Rimbaud, a-t-il été ce que l’on appelle un génie, a-t-il écrit « sous influence », faut-il vraiment essayer de comprendre ses vers ou « les mots peuvent-ils se passer de sens et se contenter de produire leur musique propre ? »

L’essai se referme sur « les pistes » celles qui incluent autant la marche comme « thermodynamique de la pensée » que la fugue vers un ailleurs que Rimbaud espérait meilleur.

Tesson agrémente son récit de nombreuses mises en perspectives, convoquant quantité d’auteurs. Pessoa, Novalis, Céline, Valéry, pour ne citer qu’eux. L’ouvrage est parsemé de vers mis en exergue en bleu électrique. On avait pensé qu’il y avait eu une infidèle transcription du début de L’Eternité mais un lecteur bien informé nous a fait savoir que celui publié dans Un été avec Rimbaud : « Elle est retrouvée ! / Quoi ? L’éternité. / C’est la mer mêlée / Au soleil. » est le poème qui fut édité à Bruxelles, moins connu que Elle est retrouvée. / Quoi ? – L’Eternité. / C’est la mer allée / Avec le soleil. »  « Si on veut rencontrer [Rimbaud], il faut le lire« , pointe Sylvain Tesson. De fait.

Marie – Anne Georges

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